mardi 29 mars 2011

Le jour ou la terre trembla sous nos pieds


Vendredi 11 mars 14h56, Tokyo.

Comme beaucoup de monde ce vendredi j'ai vécu mon premier fort tremblement de terre. Sur le coup personne n'a réalisé que 20 minutes après cette secousse violente une catastrophe naturelle d'une ampleur inimaginable se déroulait au nord du pays. Le Japon mettra des dizaines d'annees a se remettre de ce désastre.

Un si beau pays ou les gens sont si aimables... Tellement de gens se sont réveillés en se rendant compte qu'ils ont perdu famille, maison, travail, raison de vivre. Devant une telle violence on ne peut se sentir que tout petits et impuissants devant la force de la nature qui peut comme ce 11 mars être destructrice. Elle donne tout mais peut enlever tout tres brutalement. Il est vrai qu'on peut se demander pourquoi vivre dans des zones a risques comme celle ci mais lorsque c'est cet endroit qu'on appelle la maison depuis tout petit depuis des générations, on ne peut que comprendre les gens.

A Tokyo, la secousse a fait trembler les buildings, du 6e etage de mon immeuble dans un quartier dense d'affaire de Tokyo - Kayabacho, celui que les Tokyoites appellent "Tokyo's old business town". On a cru pendant un moment que les vibrations viendraient a bout des fondations des bâtiments mais plus de peur que de mal, la secousse qui a dure environ 2 minutes n'est pas venue a bout des bâtiments.

Au Moment du tremblement de terre, je dois avouer que c'était un peu la panique a bord, les neurones ont chauffé un bon coup car lorsque j'ai compris que c'était un tremblement de terre sérieux, j'ai repensé a la discussion que j'ai eu avec un de mes collègues la veille; Alertés par un prémisse du séisme 2 jours avant nous discutions lors d'une pause café lorsqu'elle me dit quelque chose qui ne m'a pas rassuré avec cet air détaché, pas vraiment blagueur et plutôt ferme assez japonais: "Si on se prend un gros [tremblement de terre], je pense qu'on va mourir, notre bâtiment a au moins 30 ans et n'a pas les dernières technologies anti sismiques" sur le moment ca m'a fait réfléchir et puis bon, c'est pas demain la veille que ca devrait arriver.

Le lendemain justement, la secousse arriva, elle commence très doucement pendant environ 5 secondes, un peu comme le mercredi puis elle s'intensifie jusqu'à faire valser les etagères. Les cris de mes collègues commencent a se faire entendre, repensant a la discussion de la veille je me précipite avec 4 de mes collègues vers les escaliers de service n'ayant pas envie si ;e pire arrivait de rester sous un bureau. Nous avons donc entrepris de descendre dans la rue (bonne ou mauvaise idee... on ne le saura probablement pas) dans cet escalier, un vacarme de tôle et de fer nous a fait sauter quelques marches, nous n'en avons pas manqué, ce qui est plutôt bien, arrive dans la rue, les bonds des fils électriques et le balancement bien visible des bâtiments ont marque mon esprit, le tremblement s'arrête quelques dizaines de secondes apres, la secousse est passée, mais la terre continue de trembler légèrement. Nous sommes remontés chercher nos collègues et pour prendre manteaux et bouteilles d'eau pour entreprendre le retour a pied chez nous par ce frais après midi de mars sans téléphone ou transport.

Tout le monde est rentré chez lui dans le calme. Je suis impressionné et félicite les japonais, les commerces sont restés ouverts et bien que la terre a continué a tremblé une bonne partie de l'âpres midi et de la soirée, les gens sont restés très dignes et calmes.

C'est alors que nous apercevons via la TV des téléphones portables qui fonctionnait encore qu'une vague énorme était en train de déferler sur la ville de Sendai a 350 km au nord, je ne me suis rendu compte que plus tard de l'ampleur des dégâts car nous avions du mal a distinguer sur ces petits écrans l'horreur de la scène. Nous sommes par la suite rentrés chez nous, certains ont eu la chance de trouver un taxi d'autres ont marché parfois toute la nuit pour rentrer.

Ce long trajet a pieds fut une scène visuelle don't je me rappellerais longtemps, une ville aussi grosse n'est pas faite pour que tout le monde soit dans la rue en même temps, une vraie fourmilière.

On se retrouve lundi au bureau... Et apres...

Le vendredi durant la nuit nous avons été réveillés par 2 répliques mais avons bien dormi tout de même. Le samedi matin, c'est une belle journée, nous constatons avec horreur l'étendue des dégâts et le nombre des victimes en augmentations dans la province de Tohoku. Puis dans l'âpres midi, un autre problème pointe le bout de son nez, le refroidissement de la centrale de Fukushima Dai Ichi n'est pus opérationnel suite au tsunami.

les images de la première explosion due a la décompression de sécurité autour des réacteurs est largement diffusée a la TV, l'image fait froid dans le dos, c'est quand meme une centrale nucleaire. Le soir meme, les pires scénarios viennent a l'esprit, les répliques continuant, les gens font des reserves d'eau, de nourriture et commencent a scotcher leur fenêtres et climatiseurs en prévision d'une éventuelle explosion plus grosse, la nuit tombe, les tokyoites font des provisions et les magasins de Tokyo se vident de leur provisions. Nous entendons alors parler des capsules d'iode a prendre en cas de contamination nucleaire. Puis a mesure que nous nous rendons compte des risques, les coups de fil aux proches se multiplient pour échanger les pensées. Mes collocs sont partages entre essayer d'ignorer ca en se disant que ca ne peut pas arriver et d'autres commencent a isoler leur chambre et remplir les baignoires d'eau.

Dimanche, apres une nouvelles nuit ponctuée de petites secousses, une deuxième explosion est filmée en direct a la TV, je me met alors en contact avec des spécialistes du nucléaire alors que les médias occidentaux commencent a titrer des premières pages et articles les plus alarmistes et vendeurs. Une annonce de l'agence météorologique japonaise annonce une probabilité de séisme de magnitude supérieure a 5 beaucoup plus proche de Tokyo a 70% pour les trois prochains jours et de 50% pour les jours suivants. L'ambassade française fait un communique assez alarmiste et invite ses ressortissants de la region du Kanto (la region de Tokyo) de quitter le Kanto si ils le peuvent.

Au vu du risque et de l'éventualité de devoir participer a une évacuation de masse des 35 millions d'habitants du grand Tokyo qui je le pense ne pourrait pas se passer dans de bonnes conditions, j'ai préféré quitter les lieux avant. Je suis donc parti le lundi matin direction Hong Kong 3 jours après le tremblement de terre comme beaucoup d'étrangers.

Lors de l'escale a Shanghai avec un suisse allant et un autre français ayant aussi fuit devant le danger probable que represente cette centrale, on partage les sentiments, on se sent mal de partir d'un pays qui nous accueille depuis des années alors que les japonais font face, certains collègues sont de retour au travail dans un climat de repliques et de coupures de courant. Certains vont dans le nord aider les victimes sans se préoccuper des radiations. On pense a ces 50 techniciens qui sont restes 15 jours seuls pour tenter de refroidir ces réacteurs malgré les explosions et le risque. L'autre Français était un touriste et venait de nouvelle zelande ou il a vécu le tremblement de terre de Christchurch et souhaitait s'éloigner de la Nouvelle-Zélande, ironie du sort! il partait en direction de Bangkok.

A Hong Kong, nous avons croisé pas mal d'autres personnes ayant fuit le Japon et Tokyo. Pas mal d'étrangers, les sentiments sont partagés, les matins sont rythmés par lune lecture anxieuse des nouvelles tantôt alarmistes des medias étrangers et plutôt informatives des medias japonais, la difference est flagrante.

Nous étions très anxieux en nous levant et en espérant ne pas entendre le pire. J'ai avancé la date de la formation que je devais faire a Hong Kong a la fin du mois dans le cadre du travail, ce qui aidait a se déculpabiliser.

Apres 1 semaine a Hong Kong et différents aléas personnels, il fallait passer a autre chose mais pas encore le japon, trop d'incertitudes... De l'exterieur, on réfléchis, trop peut être, et on prends encore plus de precautions, on se sent encore plus coupable du coup, j'ai alors appris que tous mes collègues japonais étaient de retour au travail pas dans les meilleures conditions mais de retour et la tete a fond dedans pour penser a autre chose. Direction France. Beaucoup d'étrangers ont suivi le meme chemin en s'éloignant d'abord puis en rentrant chez eux en attendant de meilleures nouvelles.

La famille et les amis qui encouragent au retour au pays, ne pas savoir a quelles sources se fier pour qualifier la réalité du danger nucleaire... étrange période de latence ou on tourne en rond, pas fier d'abandonner son pays hôte du moment mais la tete la bas en permanence en pensant a tous ces pauvres gens pour qui la vie a définitivement bascule et a ces nombreux autres qui ont vécu leur dernier jour ce vendredi 11 mars. D'un point de vue personnel, ces 2 semaines mettent en perspective le travail, l'apart, la vie que j'ai depuis 1 an qui sont au japon, vu qu'on a plus de vraie activité chez soi, et que l'on pense a ca en permanence, différents scénarios passent a travers l'esprit... en 15 jours on a remis en questions 100 fois le futur du

japon, nos futurs d'étrangers la bas, imaginé a quel point la vie peut y devenir compliquée ou bien au contraire elle peut ne pas être trop affectée dans le Kanto. les perspectives eventuelles de l'heure sont: coupures de courant plusieurs fois par jour durant l'été, précautions a prendre par rapport a la nourriture, ne pas aller se tremper dans le pacifique, se proteger de la pluie, possible inflation dans le futur, une potentielle bombea retardement a 250 km au nord de Tokyo, et tous ces pauvres gens qui ont de tels problèmes qu'ils ne pensent meme pas encore au danger lié a la centrale qu'il faudrait aider d'une maniere ou d'une autre.


Nombreux sont les étrangers qui sont revenus chez eux en abandonnant boulot et appart, le risque radioactif est traite différemment selon les personnes. Certains reviendront dans quelques semaines, d'autres quelques mois, d'autres ne reviendront pas. Contrairement a ce que certains medias étrangers ont pense, l'effet catastrophe nucleaire dans un pays qui a connu celles de Hiroshima et Nagazaki permet aux japonais de relativiser plus que de paniquer ou de se laisser abattre j'ai l'impression. Les japonais a l'instar de mes collègues de retour au travail se jettent dans le travail pour le bien du pays, pour améliorer les choses et penser a autre chose.

Vivre un évenement comme celui ci est perçu différemment par beaucoup, selon que l'on est reste la bas, que l'on est parti, que l'on puisse travailler a distance de l'étranger pendant la periode incertaine ou non, qu'on attends en tournant en rond. Evidemment le que l'on soit étranger ou japonais influe pour beaucoup la perception des choses...

Pour ma part j'attends encore quelques jours pour reprendre mon billet et je rentrerais a Tokyo en prenant mes precautions et en aidant au possible les personnes que je pourrais aider la bas.

Je me sens comme l'homme le plus chanceux du monde et relativiserais dorénavant beaucoup de problèmes....